lundi 10 juin 2013

Pêle-mêle énervé


J’ai débarqué ici emplie de mes bonnes vieilles convictions égalitaires et autres idéaux sociaux. La réalité parfois vient simplement vous heurter en pleine face, sans qu’aucun tour d’esprit ne puisse la camoufler.
L’argent domine le monde. Voilà me direz vous une réflexion d’une grande originalité, mais il n’y a pas quinze façon de le dire.
La générosité purement altruiste n’existe pas, j’ai découvert les dessous des financements des ONG et ça m’a filé la gerbe. Une fois pour toutes, j’ai déchanté.
Dans les pays où la majeure partie de la population manque vitalement d’argent, la bestialité de la lutte pour en posséder est encore plus visible.
En Angola, les problèmes bien connus des pays sous développés se déploient sous mes yeux de petite européenne. Une espérance de vie moyenne qui culmine à peine à la moitié de celle des occidentaux, de nombreux endroits sans accès à l’eau potable, des mines anti-personnelles encore enfouies un peu partout qui remplissent les rues de personnes estropiées, lorsqu’elles survivent, des milliers de bébés qui n’atteindront jamais 3 ans.
J’ai vu des enfants dans la rue qui vous courent après pour quelques Kwanzas, qui n’iront jamais à l’école et resteront probablement analphabètes toute leur vie. Des estomacs gonflés par la malnutrition qu’ils exhibent au soleil à longueur de journée car le simple effleurement d’un T-shirt provoque une vive douleur sur leur peau tirée à l’extrême. Des adolescentes enceintes, “le premier mois de leurs règles, on les laisse tranquille, m’a expliqué un villageois, mais dès le 2éme on les envoie chez un des anciens du village pour qu’il s’occupe d’elles, puis chez un autre, la plupart ne savent même pas de qui elles sont enceintes”.
J’ai vu des jeunes et jolies noires vêtues de robes synthétiques ultra moulantes et de compensés vertigineux à en faire pâlir des drag queen se frotter contre des vieux blancs libidineux en rêvant de devenir leurs femmes dans l’espoir d’une vie meilleure, ou juste donner leurs corps pour des verres d’alcool et la promesse de l’achat de quelques fringues.
Personne ne peut comprendre l’obsession vorace de l’argent neuf comme celui qui crève du manque de tout. 




Abreuvés d’images télévisées, où s’exhibe la nouvelle richesse flamboyante du Brésil, fascinés par internet sans en comprendre toute la dimension au-delà de facebook et de youtube, prêt à sacrifier leur diner ou préférant marcher des heures pour économiser l’argent du bus afin de se payer des cheveux synthétiques, du crédit pour le portable ou une entrée en boîte de nuit.
Après 30 ans d’une guerre civile confuse et meurtrière, sans autre idéologie que l’accès au pouvoir, la jeune génération est tombée toute entière en fascination devant la consommation à la mode mondiale. Alors que le niveau des universités est si bas que des professeurs de maths me confiaient que le niveau des étudiants de 5éme année de fac est équivalent à celui d’un élève de seconde au Portugal, ou que je collabore chaque jour avec des juristes ne sachant ni écrire un mail, ni un courrier officiel et encore moins un contrat mais qui connaissent la mode ou la vie privée de Rihanna mieux que quiconque. Sans voir réellement le lien entre le travail et la réussite. Beaucoup donne l’impression de rien espérer de leur gouvernement, de leur pays ou même de leur propre vie.

Ils n’ont aucune envie de voyager. L'Amérique ? C’est has been, me disent ils, puis c’est trop loin, l’Asie ? Les chinois sont racistes ils ne nous aiment pas et puis on en voit bien assez ici des chinois. L’Europe? Pour mourir de froid non merci. 
Leurs journaux, qui soit dit en passant sont tous entre les mains du pouvoir en place sans laisser place à la moindre critique au risque de se faire simplement assassiner, se font un devoir de les asséner des pires informations à propos de nos pays. Les Européens meurent de la crise, ils sont alcooliques et dépravés, ils bafouent les droits de l’Homme et les gens déprimés finissent presque tous par se suicider. Gloups. 
On est dans la mouise jusqu'au cou, tout le monde est d'accord, mais venant d'un pays où le service public est un ovni, où le salaire minimum ne permet ni se loger ni de se nourrir, mais où le président est au pouvoir depuis 30 ans, et où les billions de dollars issus du pétrole et de la corruption font que lui et sa famille sont tous dans le palmarès des personnes les plus riches du monde, où la justice est corrompue, le système sanitaire une aberration face à laquelle tous ceux qui ont les moyens, et ils sont évidemment peu nombreux, doivent partir se soigner à l’étranger. Je trouve la critique propagandiste bien facile, empreinte d’une vieille rancune politique évidente. Seul le Brésil, frère de sang et langue, et la Chine, qui rachète petit à petit l’ensemble du pays trouvent grâce aux yeux des médias.

 Sur l’une des pages facebook les plus populaires du pays, celle du plus grand centre commercial de la capitale, des questions sont lancées par les administrateurs. Le contenu des réponses est toujours surprenant.
A la question, si vous aviez le courage de réaliser votre rêve le plus fou, que feriez vous?
Une écrasante majorité d’un milliers d’angolais ayant répondu parle de braquer une banque, un boutique de téléphone ou d’ordinateurs, de dévaliser une bijouterie ou un magasin de fringues. 
Voilà les nouveaux rêves africains, broyés, quelque part dans la machine universelle entre la crise économique de nos vieux états et les ambitions asiatiques, les africains ne rêvent à rien d’autre que de posséder, à tout prix. Cette triste obsession nous renvoie notre propre image en pleine tête, ma propre image...
Ils me regardent avec des yeux ahuris quand je leur explique mon boulot, les actions de notre ONG. Mais pourquoi tu fais ça? Pourquoi tu veux les aider?
Il y a une espèce de haine indicible du pauvre dans les classes moyennes : nous nous en sommes sortis, hors de question de se frotter à la misère à nouveau.



Ces répudiés s’entassent dans des bidonvilles sans eau ni électricité, sans sanitaire, sans rien. Une maisonnette de terre cuite, parfois de briques montées de façon anarchique, parfois de bois dans les endroits plus reculés.
Le paludisme les tue, la maladie traitée rapidement se guérit, en l'absence de moyens pour se procurer les traitements, c’est la loterie de la vie.
Le sida les tue, ils ne savent pas encore vraiment ce que c’est, si ce n’est vaguement quelque chose de dangereux, «le docteur dit que c’est à cause du sida que je suis si maigre, mais c’est impossible, m’a confié il y a peu une prostitué de 16 ans, j’ai bien fais attention à ne coucher  qu’avec des hommes qui n’avaient pas l’air malade».
La violence conjugale est un fléau terrible également. Pour les populations les moins éduquées a femme est encore considérée comme la propriété de son mari. Elle travaille pour lui, elle est son esclave domestique et sexuelle. Le nec plus ultra de la virilité c’est de passer ses journées à boire du whisky dans un bar et de rentrer le soir récupérer l’argent gagné par la femme. Je sais, ça sonne comme un cliché larmoyant. Pourtant j’ai discuté avec assez de femmes pour saisir la réalité de ces propos..




Excusez moi pour le manque de style et de trame, j’avais juste envie de balancer tout ça.
Un autre jour, je me sentirai l’âme plus légère et je vous parlerai du rire des angolais, de leur incroyable sens de l’humour, leurs danses et leurs fêtes qui peuvent durer une semaine en continu, de leur philosophie du plaisir instantané, de leurs plages magnifiques, de la ferveur de Luanda, de leur musique absolument géniale, de leur nourriture colorée et goûteuse.. puisque évidemment rien n’est jamais tout noir ou tout blanc.

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